L’état d’urgence sanitaire a pris officiellement fin le 11 juillet 2020 (hormis pour la Guyane et Mayotte), la prorogation prĂ©vue par l’article 1er de la loi n° 2020-546 du 11 mai 2020 n’ayant pas Ă©tĂ© reconduite par le Parlement.Â
Pourtant, le virus circule toujours, et l’actualitĂ© rĂ©cente montre Ă nouveau tout l’intĂ©rĂŞt du maintien des mesures de protection, notamment des personnes les plus vulnĂ©rables.Â
Il est donc surprenant de constater que nombre d’administrations ont mis fin, Ă compter du 11 juillet 2020, au placement en autorisation spĂ©ciale d’absence (ASA) des agents publics atteints des pathologies les qualifiant comme personnes vulnĂ©rables au sens de l’avis du Haut Conseil de la SantĂ© Publique (HCSP) du 31 mars 2020, dont la liste est reprise au sein du dĂ©cret n° 2020-521 du 5 mai 2020.Â
Ceux-ci ont Ă©tĂ© invitĂ© Ă reprendre le travail, Ă poser des congĂ©s annuels, ou se sont mĂŞme vus imposer un placement en congĂ© maladie ordinaire.Â
Il semble donc exister Ă ce jour une rĂ©elle interrogation quant Ă la possibilitĂ© pour les agents publics vulnĂ©rables qui ne peuvent tĂ©lĂ©travailler de continuer Ă ĂŞtre placĂ©s en ASA.Â
Pour y rĂ©pondre, revenons sur l’historique de ces règles et les Ă©volutions rĂ©centes qui ont conduit au choix de certaines administrations de mettre fin Ă de telles ASA, pour comprendre cet Ă©tat de fait.Â
La situation pour les agents de droit publicÂ
Dans le secteur public, aucun texte Ă proprement dit n’a Ă©tĂ© mis en place. Dès le dĂ©part, le Gouvernement avait expliquĂ© que les textes rĂ©gissant l’activitĂ© partielle des salariĂ©s du secteur privĂ© ne s’appliquaient – logiquement – pas au secteur public.Â
Très tĂ´t toutefois, la Direction gĂ©nĂ©rale de la fonction publique (DGAFP) (Ministère de la fonction publique) a pris des notes et autres questions-rĂ©ponses venant rĂ©gler la situation des agents vulnĂ©rables.Â
La règle fut rapidement posĂ©e : les agents vulnĂ©rables ne devaient pas travailler en prĂ©sentiel, le tĂ©lĂ©travail devant ĂŞtre priorisĂ©. En cas d’absence de possibilitĂ© d’instaurer le tĂ©lĂ©travail, l’agent vulnĂ©rable devait ĂŞtre placĂ© en ASA, avec maintien de la rĂ©munĂ©ration.Â
On retrouve cette règle par exemple dès le 17 mars, dans une note intitulĂ©e « Situation des agents publics, comparatif public-privé ». Cette position Ă©tait rĂ©gulièrement rappelĂ©e par la suite (« Questions-RĂ©ponses » de la DGAFP du 15 avril 2020 et du 23 avril 2020).Â
Une note de la DGAFP du 7 avril 2020, intitulĂ©e « ProcĂ©dures de dĂ©claration d’arrĂŞts de travail pour garde d’enfant dans le cadre du Covid-19 et pour les agents prĂ©sentant une ou plusieurs pathologies fixĂ©es par le Haut conseil de la santĂ© publique ainsi que pour les femmes enceintes Ă partir du 3e trimestre » (et rééditĂ©e le 12 mai 2020) venait Ă©galement rappeler les modalitĂ©s de dĂ©claration du caractère vulnĂ©rable d’un agent public : la mesure prise par l’employeur (tĂ©lĂ©travail ou ASA) pour un agent vulnĂ©rable est automatique, dès transmission par l’agent d’un certificat mĂ©dical obtenu soit sur le site ameli.fr, soit par son mĂ©decin traitant.Â
Dans un Questions-RĂ©ponses intitulĂ© « Sortie du confinement dans la Fonction publique » du 11 mai 2020, la DGAFP maintenait cette règle, sans date de fin, Ă l’issue du confinement :Â
« Les agents répondant à l’un des critères de vulnérabilité définis par le HCSP doivent rester confinés chez eux.
En l’absence de possibilitĂ© de tĂ©lĂ©travail, l’employeur public place en autorisation spĂ©ciale d’absence (ASA) les agents publics prĂ©sentant une ou plusieurs pathologies arrĂŞtĂ©es par le Haut conseil de la santĂ© publique et, Ă titre prĂ©ventif, les femmes enceintes Ă partir du troisième trimestre et les personnes âgĂ©es de 65 ans et plus. »Â
Le dĂ©cret du 27 mai 2020 et la fin de l’état d’urgence sanitaire : une fausse justification.Â
Pour limiter dans le temps certaines des mesures de prĂ©caution prises pour les actes mĂ©dicaux liĂ©s Ă la Covid-19, un dĂ©cret n° 2020-637 du 27 mai 2020 est venu modifier le dĂ©cret du 31 janvier 2020 prĂ©citĂ© qui rĂ©gissait les prestations pour les personnes exposĂ©es au coronavirus.Â
Puis, annoncĂ©e dans le courant du mois de juin, la loi n° 2020-856 du 9 juillet 2020 organisant la sortie de l’état d’urgence sanitaire est venue mettre fin officiellement audit Ă©tat d’urgence au 10 juillet 2020.Â
Certaines administrations ont cru pouvoir tirer de ces textes, et de la fin de l’état d’urgence, la possibilitĂ© de mettre fin aux ASA des agents publics vulnĂ©rables.Â
Pourtant, aucun de ces textes ne modifie l’état du droit s’agissant des conditions de travail des personnes vulnĂ©rables, qu’ils soient d’ailleurs agents publics ou privĂ©s.Â
Le dĂ©cret du 27 mai 2020 se contente de limiter dans le temps certaines prises en charge financières d’actes mĂ©dicaux et d’indemnitĂ©s journalières pour les personnes atteintes de la Covid-19.Â
L’article 3 du dĂ©cret du 31 janvier 2020 modifiĂ© prĂ©voit ainsi la limitation de certains dispositifs prĂ©vus au 15 septembre, 10 octobre ou encore 31 dĂ©cembre 2020.Â
Seul d’ailleurs se trouve limitĂ© Ă la fin de l’état d’urgence sanitaire le dispositif spĂ©cifique « remboursement par l’assurance maladie des actes de tĂ©lĂ©consultation rĂ©alisĂ©s par vidĂ©otransmission » pour certains patients.Â
Aussi, aucune autre modification n’est intervenue Ă ce titre Ă la date de la fin d’état d’urgence sanitaire.Â
Ni la loi du 9 juillet 2020, ni le dĂ©cret du 27 mai 2020 ne viennent modifier l’article 20 de la loi du 25 avril 2020 ou le dĂ©cret du 5 mai 2020 : les salariĂ©s du secteur privĂ© considĂ©rĂ©s comme vulnĂ©rables bĂ©nĂ©ficient toujours aujourd’hui du chĂ´mage partiel.Â
La DGAFP, de son cĂ´tĂ©, n’a pas Ă©dictĂ© de nouvelle note revenant sur la situation des agents publics vulnĂ©rables.Â
Le constat est donc partagé : la plupart des centres de gestion de la fonction publique territoriale confirment que la règle de placement en télétravail ou en ASA des agents publics vulnérables est toujours applicable, certains évoquant même le fait que le décret du 27 mai 2020 n’a pas eu d’impact sur cette situation.
A la suite du dernier conseil commun de la fonction publique du 23 juillet dernier, la nouvelle ministre AmĂ©lie de Montchalin a certes annoncĂ© une circulaire Ă venir du Premier ministre concernant la situation des agents publics vulnĂ©rables.Â
Cependant, en attendant, la Direction de l’information lĂ©gale et administrative (DILA – Premier ministre), par l’intermĂ©diaire de son site internet service-public.fr, dans sa dernière mise Ă jour du 11 juillet 2020 (soit après la fin de l’état d’urgence), confirme toujours le placement en ASA des agents publics reconnus vulnĂ©rables.Â
En effet, dans sa fiche « Travail et Covid-19 : quelles sont les règles »[1], la DILA rappelle toujours que :Â
« Si vous ĂŞtes une personne vulnĂ©rable prĂ©sentant un risque de dĂ©velopper une forme grave de l’infection au Covid-19, et si le tĂ©lĂ©travail est impossible, vous ĂŞtes placĂ© en autorisation spĂ©ciale d’absence. Vous devez, pour cela, fournir Ă votre administration un certificat d’isolement Ă©tabli par votre mĂ©decin. »Â
Le refus des ASA pour personnes vulnĂ©rables : quelle illĂ©galité ?Â
Il est donc juridiquement difficile de comprendre, en l’état des textes et en l’absence de toute modification des notes ayant fondĂ© le placement en ASA des agents publics vulnĂ©rables ne pouvant tĂ©lĂ©travailler, le choix de notre administration rĂ©gionale de mettre fin Ă ce système Ă compter de la fin de l’état d’urgence, cette date ne correspondant par ailleurs Ă la fin d’aucun autre dispositif comparable.Â
Les dĂ©cisions refusant le placement en ASA desdits agents en sont-elles pour autant illĂ©gales ?Â
C’est toute la difficultĂ©.Â
Comme nous l’avons soulevĂ© durant le confinement, le placement en ASA des agents vulnĂ©rables (mais Ă©galement le placement en ASA d’autres agents) du fait de la Covid-19 rĂ©sultait uniquement de notes de la DGAFP et de « Questions-RĂ©ponses » de cette mĂŞme direction.Â
En matière de fonction publique, l’absence, contrairement aux mesures prises pour le secteur privĂ©, de textes prĂ©cis et clairement contraignants tels que des dĂ©crets, a pu constituer une forme d’insĂ©curitĂ© juridique des mesures prises durant la pandĂ©mie :Â
Pour les administrations, n’étant pas certaines de la soliditĂ© juridique des mesures qu’elles devaient mettre en Ĺ“uvre en matière de ressources humaines ;Â
Pour les agents, n’étant pas certains des droits qu’ils détenaient de seules « notes » issues de la DGAFP.
Toutefois, le Conseil d’État a rĂ©cemment rappelĂ© que peut constituer une norme juridique opposable tout document de portĂ©e gĂ©nĂ©rale Ă©manant d’autoritĂ©s publiques, qu’il soit une circulaire, une note d’interprĂ©tation, voire mĂŞme une « note d’actualité » (CE, Sect., 12 juin 2020, GISTI, req. n° 418142).Â
A notre sens, la jurisprudence pourrait donc tout Ă fait donner une valeur juridique contraignante aux notes de la DGAFP qui ont, de fait, Ă©tĂ© les seuls actes juridiques en matière de fonction publique sur lesquels ont pu s’appuyer les administrations durant les mois les plus difficiles de la crise sanitaire.Â
Aussi, et tant qu’aucune mesure gouvernementale n’aura spécifiquement modifié la situation des agents publics vulnérables, ces derniers doivent, en application du « régime juridique » mis en place jusqu’alors par le Ministère de la fonction publique, continuer, à défaut de possibilité de télétravail, à être placés en ASA, toute autre décision pouvant être considérée comme illégale et potentiellement sujette à recours.